Il y a près d’un an déjà, je publiais un blog sur les tendances 2020.

Ce matin, je découvre un article des Echos qui explique pourquoi l’ère des épidémies ne fait que commencer. La lecture de cet article m’inquiète mais paradoxalement ne me surprend pas. En l’espace de neuf mois, nous nous sommes habitués à vivre dans un monde où l’incertitude règne.

Pourtant, toutes les tendances identifiées fin 2019 se sont drastiquement accélérées en 2020, et cela continuera en 2021, ce que George Forrester Colony a appelé « The Big Acceleration ». Cela m’a tout de suite fait penser au concept de la « grande accélération » et de la notion d’Anthropocène, cette nouvelle époque de l’Histoire de la Terre, où les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre. Les chercheurs semblent s’accorder sur le fait que ce sont précisément les activités humaines à l’origine du changement climatique – en particulier la réduction de la biodiversité – qui favoriseront le transfert d’agents pathogènes vers l’homme. C’est bien pour cela que Boris Cyrulnik évoquait dès juin que «revenir au ‘business as usual’, ce sera provoquer d’autres catastrophes». Pour autant, la notion de résilience qu’il a contribué à populariser a été très galvaudé en 2020. Malgré de très belles initiatives, ce n’est pas faire preuve de pessimisme que de dénoncer le mythe d’un monde d’après. La réalité, c’est que la crise ne provoque pas véritablement de nouveaux comportements, mais accélère de manière fulgurante des tendances préexistantes, conduisant à une polarisation extrême de la société.

Indépendamment de l’évolution du virus, et même s’il est très difficile de généraliser, voilà 3 macro-tendances qui risquent de s’accélérer en 2021 et de devenir des enjeux clefs pour les entreprises françaises :

  1. Des consommateurs de plus en plus exigeants, dont il faudra décrypter les émotions contradictoires, et regagner la confiance.
  • Le prix est et restera le facteur de choix le plus important: 79% des consommateurs français considèrent le prix d’un produit comme le critère le plus important de leur achat.
  • Bien sûr, donner du sens à l’acte d’achat est de plus en plus important en consommant local et éthique, et la préférence pour les marques respectueuses de l’environnement ou de leurs employés a augmenté de près de 50%. Pour autant, seuls 18% et 15% des consommateurs français font respectivement de l’impact environnemental ou des valeurs de la marque leur critère d’achat principal.
  • Il faut donc s’attendre à une consommation plus frugale, à la croissance du hard-discount, à la multiplication des offres liées à l’économie circulaire et aux produits d’occasion (d’Ikéa à Zalando en passant par Vinted). La dissonance cognitive va s’accélérer pour les consommateurs qui n’auront pas les moyens d’acheter les marques ou les produits de leur choix.
  • Dans ce monde davantage polarisé où les convictions de chacun se renforcent, les marques vont devoir s’engager. Mon ancien collègue Henry Peyret avait l’habitude de dire que les français sont le peuple le plus défiant du monde. J’étais sceptique mais les récentes polémiques sur les vaccins ou la 5G tendent à montrer une défiance irrationnelle non seulement envers le politique mais aussi envers la technologie. La défiance envers les marques s’appliquera tout autant et celles qui se contentent de prendre des postures sans donner des preuves concrètes de leur engagement s’exposeront dangereusement. Et même celles qui sont authentiques dans leur démarche et dont les dirigeants ont su incarner les valeurs, ne sont pas à l’abri. Danone en est un bon exemple et a subi de nombreuses critiques injustifiées pour avoir dû licencier à cause de la crise.
  • De la même manière, les consommateurs vont simultanément demander un service client à distance irréprochable et l’intimité d’une conversation humaine comme s’ils étaient dans un commerce de proximité. En 2021, nous anticipons une croissance de 40% des interactions digitales avec un service client. Avec la fermeture ou la moindre fréquentation des agences bancaires ou des magasins, de nombreux employés vont voir leur rôle se transformer en conseillers de clientèle digitaux, en support du service client.
  • Les données historiques ou les enquêtes déclaratives d’opinion ne seront plus suffisantes pour anticiper l’évolution probable des consommateurs, qui ont d’ailleurs du mal à verbaliser leurs perceptions. Les leaders basculeront 10% de leur budget insights sur l’analytique des émotions (AI text analytics, biométrique, reconnaissance faciale, speech analytics).
  1. Des collaborateurs de plus en plus inquiets qu’il va falloir réassurer, former, motiver, fédérer.
  • Après le tremblement de terre de la crise sanitaire, beaucoup de français sous-estiment encore le tsunami économique et social qui va suivre. Le pourcentage d’employés français qui craint que leur entreprise ne licencie ne fait qu’augmenter depuis le début de la crise et est passé de 23% à 31% entre mars et fin octobre 2020.
  • Au-delà du besoin de réassurance, les employés aussi exigent davantage de sens dans leur quotidien. La bascule rapide et prolongée dans le télétravail a profondément modifié les manières de travailler, de créer, de collaborer, de manager. Forrester anticipe que près d’un tiers des cols blancs en Europe continuera à télétravailler en 2021. Il ne faudra pas simplement former les collaborateurs aux nouveaux outils déployés, mais bien redonner du sens. Cette quête de sens passera par la marque et la réinvention de l’expérience collaborateur. Trop peu de directeurs marketing, de DRH et de DSI collaborent vraiment pour mettre en œuvre la symétrie des attentions. C’est un enjeu de plus en plus critique : la corrélation entre expérience collaborateur, client et performance de l’entreprise s’est aussi accélérée avec la crise (cf graphique ci-dessous).
  • La fonction RH deviendra bien plus stratégique, même si aujourd’hui le profil de nombreux DRH est plutôt ancré en France dans une culture du dialogue social, du juridique, de l’administratif que dans une culture proche de la data, de la technologie ou du marketing. Combien de DRH ont participé à des ateliers d’employee journey mapping (analyse des parcours collaborateurs) ? Combien anticipent les besoins en formation lié à l’intelligence artificielle et déploient des programmes de formation liée à l’automatisation d’un grand nombre de tâches administratives ? Certaines entreprises comme Accor, Santander ou Sodexo ont lancé des programmes ambitieux d’apprentissage tout au long de la vie professionnelle (lifefong learning), mais on devrait voir en 2021 davantage d’investissements des géants de la Tech dans l’éducation. Ce ne serait pas une surprise de voir un Apple, un Google ou un Amazon investir aux Etats-Unis dans une université.

  1. Des leaders et des managers qui vont devoir incarner le changement et profondément modifier la culture de leur entreprise et leurs organisations.
  • Les leaders considèrent la crise comme une opportunité de transformer leur culture d’entreprise. Sur tous les projets de transformation auxquels j’ai pu participer, la culture a toujours été le principal facteur clef de succès. Cela prend du temps et suppose une évolution du leadership qui doit incarner le changement, donner du sens. C’est vrai aujourd’hui plus que jamais. Il faut faire confiance, déléguer, autonomiser, rendre agile de grandes entreprises dont les dirigeants ont bien trop souvent en France, un profil homogène qui ne favorise pas la diversité, l’intégration de l’exécution à la stratégie, la prise du risque. Seuls 38% des salariés français considèrent que leur entreprise considère la crise comme une opportunité de transformer la culture de l’entreprise contre 50% des anglais ou 58% des italiens. C’est le taux le plus faible des cinq grandes économies européennes.
  • Les acteurs les plus performants appréhendent la transformation par l’expérience client. La plupart des comités de direction ou des comités exécutifs maitrisent plus ou moins la transformation digitale. La maturité numérique varie drastiquement d’un acteur à l’autre mais le processus est enclenché pour tous. C’est bien moins évident pour la transformation par l’expérience client, qui n’est toujours pas assez considérée comme une discipline transverse d’entreprise.
  • Près de 30% des entreprises vont investir davantage dans les technologies cloud, la sécurité, les réseaux, la mobilité pour bénéficier d’outils plus flexibles leur permettant de s’adapter au contexte actuel. Si ce taux est plus faible en France qu’ailleurs, en particulier pour les PME, de nombreuses entreprises ont réussi en 2020 à déployer en quelques mois des solutions qui auraient en temps normal nécessité des projets de plusieurs années. L’enjeu de ces nouveaux outils est aussi culturel et organisationnel : pour tirer profit de solutions de CRM, d’expérience ou de marketing cloud, de feedback management ou de voix du client, il faut modifier en profondeur ses process, sa façon de travailler, et impliquer les collaborateurs dans le changement.

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